RENCONTRE AVEC MARIE-CHANTAL DOYONNARD

by OLIVIER DESCOINS

PHOTOGRAPHIE MARIE-PIERRE de LARUE DARGÈRE

RENCONTRE AVEC MARIE-CHANTAL DOYONNARD

by OLIVIER DESCOINS

Le rendez-vous est pris avec Marie-Chantal Doyonnard, directrice de la sélective galerie Joyce.
-« Passez me chercher à 13 h, je vous invite à déjeuner dans mon restaurant préféré ».
J’arrive devant la porte, Luigi, son fidèle assistant italien, la prévient de mon arrivée.
-« jé vé loui dire que vous êtes arrrrrivé, elle na va pas tarrrrrder ».
La voilà, élégante avec beaucoup d’allure dans son jean boyfriend baggy, ses mocassins anglais de collégienne, une bague de créateur à l’index droit, les cheveux aux épaules faussement classiques car rasés de chaque côté… sa marque de fabrique.
On s’installe en terrasse du restaurant dans les jardins du Palais Royal.
-« Alors vous voulez faire un sujet sur moi ? Mais pourquoi faire ? »
Le ton est donné, lorsque Marie-Chantal a quelque chose à dire, elle ne passe pas par 4 chemins.
Elle n’a pas l’habitude de parler d’elle et préfère de loin parler des autres.
-« J’aime les artistes, les vrais, ceux qui vous racontent leur travail avec passion et des yeux d’enfants… »
Nous nous étions rencontrés en mai dernier à la fashion week Tunis où elle avait eu un vrai coup de cœur pour quelques créateurs et avait décidé en un instant de présenter plus tard à Paris, à la galerie Joyce, une sélection parmi les designers qui avaient défilé à Sidi Bou Saïd.
Elle avait même prêté, pour un shooting des robes de Mehdi Kallel, un très joli cube que lui avait offert Yohji Yamamoto :
-« Attention, j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux ! Le premier qui l’abîme, je le tue… »
On ne plaisante pas avec tout ce qui se rapporte à Yohji mais nous verrons ça un peu plus tard…
En Tunisie, je l’avais trouvé culottée, atypique et surtout curieuse et attentive à tout.
Elle est comme ça Marie-Chantal, lorsqu’elle aime, elle adore et lorsqu’elle n’aime pas, elle le fait savoir également.
Une personnalité hors du commun avec un caractère bien trempé dans un microcosme parisien lisse et politiquement très correct.
Vers 9-10 ans, très loin de la capitale, dans son petit village de Poligny dans le Jura, Marie-Chantal regarde une interview de Mademoiselle Chanel à la télévision :
-« C’est ça que je veux faire quand je serai grande !»
Sa grand-mère, à qui elle voue une admiration sans limites, lui répond :
-« Il n’y a qu’une Chanel et qu’une Marie-Chantal ! Va falloir que tu fasses avec ».
A partir de ce moment, la petite Marie n’aura de cesse de tracer son chemin d’une façon unique et singulière.
Passionnée par les vêtements depuis toujours, elle adore se déguiser avec les habits que lui prêtent ses tantes.
-« Je m’évadais d’un quotidien pas toujours rigolo en me racontant des histoires ».
Elle voue également un véritable culte à Claude François.
-« Je connaissais toutes ses chorégraphies par cœur, je dansais comme une folle devant la télé ! ».
Plus je l’écoute me raconter son enfance jurassienne, plus j’ai le sentiment que la petite fille qu’elle était, est restée la même… Pour un peu, elle se lèverait de table pour me montrer comment se déhancher sur Alexandrie Alexandra.
-« Prenez un jus de carottes, il est à tomber ici !»
Après un détour par Biarritz, Courchevel où elle fait les « saisons », Marie arrive à Paris.
Un soir, elle rencontre Serge Gainsbourg passablement éméché, qu’elle aide à se relever. Il se souviendra d’elle un peu plus tard.
-« C’est devenu mon parrain, il m’a fait rentrer à l’Elysée-Matignon ».
Temple de la nuit à cette époque.
Parisienne depuis peu, Marie-Chantal reste scotchée pendant plus d’une heure devant la vitrine d’un magasin rue du Cygne, fascinée par les vêtements.
-« C’était la première boutique de Yohji Yamamoto et, miracle ! Il cherchait une vendeuse ».
Elle gravira les échelons et restera marquée à tout jamais par le maître Yohji :
-« Il m’a tout appris et surtout à ne jamais dire non. Il disait que c’était le plus gros souci des français. Yohji a été comme un papa pour moi ! »
Eh oui ! La petite fille qu’est restée Marie dit « papa ».
Ce sont les années japonaises de Marie-Chantal, des années où elle affûtera son style, son œil et comme toujours sa  grande curiosité.
-« Ma plus grande fierté ? Avoir pu continuer à porter mon rouge à lèvres rouge vif. J’ai dû batailler pour ça !»
Elle éclate de rire de sa jolie bouche vermillon !
-« Plus Japonaise qu’une Japonaise ! J’ai même failli épouser un Japonais ».
Puis c’est la période Jean-Paul Gaultier.
-« On était toute amoureuse de Jean-Paul ! On aurait même quitté notre mec pour le suivre ».
De ses années JPG, elle retiendra le goût de la fête !
-« Après chaque show, Jean-Paul organisait toujours des fêtes gigantesques ! C’était sa façon de remercier ».
Elle se souvient, amusée, de la rivalité entre Jean-Paul Gaultier et Thierry Mugler.
-« Jean-Paul aurait adoré avoir le corps affûté de Thierry mais c’est vrai que nos déjeuner à l’époque, c’était plutôt purée-saucisses que salade verte ».
On la sent très émue lorsqu’elle se souvient de Francis, le grand amour de Jean-Paul emporté par une longue maladie en 1990.
-« Un garçon formidable, gentil et tellement brillant !»
Puis ce sont ses années  avec le chausseur Michel Perry.
-« Ah Michel ! il pouvait passer des heures à regarder une chaussure ! Un savoir-faire, une maîtrise ! Encore un de mes « papas » ! »
Puis, retour à la case Japon ! Ce sont ses années Masakï Matsushïma, figure du design moderne japonais.
-« Il pouvait passer des journées entières pour trouver le tissu de la bonne couleur, un perfectionniste. Quelle minutie. Encore un précurseur. Pour m’envoyer en province, il ne me louait pas une voiture, il en achetait une, c’est moi qui me débrouillais pour la rendre ensuite…Ah ces japonais !… »
-« Alors, vous le trouvez comment ce jus de carottes, il est dingue non ? »
Marie saute du coq à l’âne, du jus de carottes à Yohji et de JPG à Mugler avec une énergie débordante.
Ce sont toutes les années 1980-1990 qui me remontent , j’ai l’impression que ma veste est très épaulée et que je sens les vapeurs du parfum de peau de Montana autour de moi. Pour un peu, Yves Mourousi débarquerait du Look, son bar, pour nous faire un de ses célèbres « Bonjour » !
-« Ah, c’était chouette ces années !
On travaillait avec des créateurs et pas des directeurs artistiques à la Tom Ford ».
Bim ! Tiens prends ça Tom !
-« La mise en place dans les boutiques, les parfums, quand on l’écoute parler, on a le sentiment qu’il a tout inventé chez Gucci… Mais Yohji faisait déjà la même chose 20 ans auparavant ».
Re-Bim ! Prends ça Tom !
Pendant que Marie s’enflamme sur le pauvre Tom Ford, je goûte enfin mon jus de carottes et c’est vrai qu‘il est dingue…
-« Vous voulez un autre jus de carottes ? »
Décidemment, Marie-Chantal est attentive à tout ! Son œil est un laser ! Probablement son côté Japonais…
Après cette période Masaki, c’est l’arrivée à la galerie Joyce, avec à sa tête, madame MA.
-« Une femme incroyable qui m’a toujours fait confiance même s’il pouvait lui arriver de débarquer en plein vernissage en chemise de nuit, et mettre tout le monde dehors -elle habitait au-dessus de la galerie-. Elle me disait : Marie, je suis chez moi, il est tard, je fais ce que je veux ! Quel sacré numéro ! Ensuite, je devais me débrouiller avec les artistes comme je pouvais ! »
Madame MA organisait également de grands dîners dans les jardins du Palais-Royal, face à la galerie.
-« Elle faisait ce qu’elle voulait, elle disait c’est mon jardin ! »
Sans doute une façon de perpétuer à sa façon, la tradition des grandes fêtes dans les jardins du Palais-Royal au  XVIIIème siècle ».
La galerie Joyce peut se targuer d’avoir reçu dans son espace nombre d’invités prestigieux, de Anthony Vaccarello à Quentin Veron, de Rad Hourani à Maison Michel, de Thomas Boog à Christophe Delcourt pour ne citer qu’eux, avec toujours cette volonté de faire découvrir un talent, un artiste.
-« Je me souviens de l’artiste Maké qui enterrait des vêtements. On a déversé des tonnes de terre dans la galerie et on se promenait sur des palettes en bois… c’était incroyable ! On a même fait pousser du gazon ».
Marie-Chantal éclate de rire !
-« On a eu plus de 3 500 personnes, ce fut un immense succès. On a dû refaire tout le parquet évidemment, mais ça en valait vraiment la peine ».
C’est cela la galerie Joyce, un espace de création où les artistes viennent s’exprimer en toute liberté.
-« Et je tiens à remercier mon président, Andrew Keith, qui perpétue l’esprit de madame MA et m’accorde toute sa confiance ».
Les deux premiers « CFDA », parrainés par Tommy Hilfiger, en collaboration avec Anna Wintour, eurent lieu à la galerie pendant la fashion week.
-« On devait partir sur une 3ème édition mais j’ai dit à Anna que ce n’était pas assez fort ».
Bim ! Tiens, prends ça Anna ! Le diable s’habille aussi en Marie-Chantal !
Mais qui parle comme ça à Anna Wintour  aujourd’hui ?
C’est ça que l’on aime chez Marie-Chantal Doyonnard. Elle n’a pas sa langue dans sa poche et ça fait du bien.
Anna ou pas, elle s’en fiche, seul compte le talent des artistes exposés à la galerie.
Elle qui rêvait de Chanel quand elle était petite, on se demande pourquoi elle n’a jamais travaillé chez le grand Karl ?
-« Je ne sais pas… C’était un rêve de petite fille ! Mais surtout, je me suis rendu compte que ce que j’admirais le plus chez Mademoiselle Chanel, c’était sa liberté… »
Et si Marie–Chantal était en fait la réincarnation de Gabrielle Chanel ?…
-«Il n‘y a qu’une Mademoiselle Chanel et qu’une Marie-Chantal, va falloir que vous fassiez avec… », me répond-elle.
Elle éclate de rire, se remet un peu de rouge sur les lèvres, termine son poisson-haricots verts pendant que je gloutonne mes délicieuses pâtes arrabiata ! Je me sens définitivement plus Gaultier que Mugler et 2 heures et demie se sont écoulées en un instant.
Alors Marie-Chantal, pourquoi un sujet sur vous ?
Pour faire du bien Marie, juste pour se faire du bien et c’est important en ce moment…