by ANNE-SOPHIE CASTRO

ET SI LA MODE DU FUTUR ÉTAIT FAITE DE MICROBES ?

by ANNE-SOPHIE CASTRO

Allez dire à nos grands-mères que porter des microbes est tendance ! Plutôt que de les javéliser pour les éliminer, pourquoi ne pas en tirer profit pour enrichir notre quotidien ? Surprenant, n’est-ce pas ? La jeune Jennifer Keane, designer et scientifique, a choisi de mettre à profit ses connaissances techniques pour créer une nouvelle forme de textile : le tissage microbien. Ici, l’infiniment petit devient grand, l’impalpable devient matière et la mode se pare d’un élément jusque-là inimaginable.

On sait aujourd’hui que la mode puise de plus en plus de ressources dans la nature. Qu’elle soit faite en coton biologique, en chanvre, en fibre de bananier, en peau d’ananas ou en toile d’araignée, le nec plus ultra aujourd’hui est de rechercher ces matières qui n’existent pas encore.

La création du tissage microbien est le pari fou de Jen Keane, diplômée du programme MA Material Futures à Central Saint Martins, Londres, et spécialisée en sciences de la fibre et en design de mode à l’Université Cornell de New York. « Un dialogue plus étroit doit être établi entre la science, le design et l’industrie afin d’apporter de réels changements à nos systèmes de valeurs et à nos moyens de production », explique-t-elle.

Frustrée par l’utilisation du plastique et motivée par le design autour de matériaux naturels, Jen Keane a créé « This is grown ». Un projet qui part du principe qu’une meilleure compréhension de la nature pourrait nous aider à remplacer les matériaux pétrochimiques actuels par des matériaux plus durables, mais également à concevoir de nouveaux systèmes de fabrication avec des matériaux jusque-là inexistants.« Après tout, la nature a mis 3,8 milliards d’années à perfectionner l’économie circulaire ultime: la vie. Peut-être pouvons-nous encore apprendre quelque chose… ? ».

C’est en apprenant des biologistes de synthèse, Tom Ellis et Marcus Walker, que Jen Keane a étudié et cultivé elle-même la bactérie k.rhaeticus, surtout connue dans le thé kombucha et rendue célèbre par Suzanne Lee qui a proposé pour la première fois une « biocouture » ou « l’art de cultiver ses propres vêtements » à l’aide du kombucha scoby, un matériau à l’aspect semblable au cuir.

Dans son atelier-laboratoire, Jen Keane tisse la chaîne et les bactéries développent la trame, à une échelle nanométrique. « Cette technique permet de tisser des motifs impossibles avec le tissage traditionnel et un tissu incroyablement léger et transparent ».

Toujours en phase d’expérimentation, la designer a créé le prototype d’une paire de baskets et pourrait bientôt commencer à collaborer avec des marques de luxe. « J’ai développé le haut d’une chaussure pour montrer comment ce processus matériel pouvait influer sur la façon dont nous concevons et fabriquons les choses à l’avenir. La nature ne fabrique pas de matériaux en pièces détachées pour ensuite les assembler… Par conséquent, la tige a été conçue et développée en une seule pièce, sans couture; un fil continu maintenu en place par la cellulose produite par les bactéries. J’espère que les développements futurs dans le tissage microbien et les autres innovations qui en découlent peuvent nous aider à faire évoluer nos systèmes de matériaux pour de bon et à inspirer une approche plus holistique de la fabrication. »

 

 

(Anne-Sophie Castro)