SHUCK ONE

 

Né à Pointe-A-Pitre en 1970, Shuck One découvre le graffiti au début des années 80 à travers des revendications murales indépendantistes aux Antilles. Ce flash eut un effet moteur qui ne l’a jamais quitté et qu’il a emmené avec lui tel un précieux bagage à Paris, où il s’installe en 1984.

Il plonge immédiatement dans le mouvement hip-hop et dès 1985, se tourne vers sa discipline la plus revendicative en tant que writer : le graffiti. Ses tags et throw-ups réalisés dans les artères souterraines du Métro font figure de référence, puissants, agressifs, engagés, qu’il s’agisse de gestes personnels ou collectifs, réalisés avec son groupe DCM-1985. Son nom est omniprésent sur les lignes stratégiques 2, 9 et 13, ce qui lui vaut le titre de “King of subway”.

Fort de son expérience d’activiste issue de différents combats idéologiques auxquels il a contribué dans une quête d’identité accrue, porté par la ville, sa diversité humaine et sa puissance créative, il devient rapidement une figure majeure du mouvement hip-hop. Cette culture est en lui. Au passé comme au présent.

Shuck One poursuit sa transhumance avec acharnement sur divers supports, dans différents lieux de France et d’Europe, du festival de graffiti au terrain vague. Son leitmotiv : faire évoluer son travail mural. Les caractères, les signes, les traces, marqués et superposés en stratification, créant des volumes de matière, évoquent un volcan en ébullition d’ou jaillit un magma de couleurs. Ces couleurs mélangées, opposées, associées, dont le foisonnement recouvre les murs de la capitale et les terrains vagues de sa périphérie, font de lui un coloriste à part entière au sein de la première génération de graffeurs français. Pendant cette période de créativité intense, il formera Basalt, un collectif d’artistes parisiens reconnus ; un groupe dont la vocation fut avant tout de répandre la culture hip-hop et son art par-delà les frontières de l’underground.

Shuck One expérimente sans tabou, remet en question les origines historiques de son art. En 1995, Basalt se dissout et Shuck One passe progressivement du mur à la toile, pour développer une écriture profondément singulière, où les formes consciemment expressives font écho aux maux de notre monde, tout en cultivant des références à la dimension culturelle et politique du graffiti.

Shuck One va s’intéresser de très près à la philosophie, dont il se nourrit avidement, et qu’il mixe avec ses références culturelles et ses expériences précédentes. Il va progressivement démontrer l’impact émancipateur que peut jouer le graffiti sur la notion d’individualisme. Le graffiti est l’expérience artistique qu’il a cherché à développer dans une réflexion autour du mode de vie parisien : comment la culture du graffiti est-elle née en France au début des années 80 et plus particulièrement à Paris ? Quel usage en faisait-on, en fait-on ?

Shuck One réalise peu à peu des œuvres plus complexes, composées de corps suspendus et d’objets non clairement identifiés, mais qui conservent toujours cette spontanéité, cette sensibilité et cette controverse propres à la rue. Sa force de caractère s’exprime à travers des jaillissements de couleurs afin d’en approfondir les sensations, la sensibilité et l’émotion. De son travail, on retient la spontanéité, l’esprit vindicatif et les vibrations rythmiques, comme en écho à la musique afro-américaine contemporaine. Ses peintures et installations restent résolument en prise avec des réalités humaines et sociales, s’inspirant de thèmes et d’événements marquants de la société actuelle. Elles portent l’identité afro-caribéenne mais aussi celle d’une France multiculturelle. L’œuvre fascine par cette double volonté de représenter l’extérieur, la rue, le monde, et l’intérieur, les méandres du cerveau et du corps.

On doit à Shuck One l’invention du « Graffic Artism », un travail sur toile percutant portant en lui une résonance graphique : l’âme du graffiti, rencontre de la spontanéité, de l’esprit vindicatif, des vibrations urbaines et du rythme de la musique contemporaine. Longévité et détermination caractérisent cet artiste sans cesse en évolution : « Mon parcours et mes convictions se répondent. Je me dirige de plus en plus vers une création engagée, car l’artiste doit prendre ses responsabilités. Ma philosophie est de transmettre cette conscience qu’est l’éveil, l’émancipation sociale et urbaine. Je veux redonner à la rue ce qu’elle m’a permis de découvrir, d’observer et de vivre. »

Depuis 1994, ses œuvres entrent dans les collections publiques et privées : elles sont notamment conservées au Fonds National d’Art Contemporain, à la Ville de Strasbourg, au Ministère de l’Outremer, à la Fondation Thétis et ont rejoint récemment la collection permanente du MEMORIAL ACTe.

 

Enrick Weissman